Depeche Mode au-delà du guignol
Rarement groupe aura aussi mal porté son nom. Celui de Depeche Mode,
emprunté à un magazine, présageait une musique-Kleenex. Vingt-cinq ans après
sa fondation, le trio de Basildon, nouvelle ville de l'Angleterre, s'offre
trois soirs de suite le Palais omnisports de Paris-Bercy (occupation qu'il
avait déjà réalisée en 1990) devant un public rapidement debout.
Pas sûr qu'il faille prendre date, en revanche, avec la première partie. The
Bravery, un quintette de New-Yorkais qui surfe (après tant d'autres) sur le
retour en grâce des années 1980 - dont profite Depeche Mode.
Les fans actuels de Depeche Mode préféreront sans doute les originaux aux
copies. Pionniers tardifs des musiques électroniques (la techno diffusée par
la sono ne manque pas de le souligner), apôtres du tout-synthétiseur,
Depeche Mode a adjoint progressivement à sa robotique des éléments piochés
dans le rock et la pop, mais aussi le blues, le gospel et le cabaret.
Le spectacle repose principalement sur le chanteur Dave Gahan. Pour les
mauvais esprits, un Elvis outrancier de pacotille, moulant son sexe de sa
main, dodelinant du popotin et dévoilant ses tatouages dans un interminable
strip-tease. Pour les convertis, une bête de scène doublée d'un ex-junkie
dont la voix grave porte toute la douleur de l'univers noir de Depeche Mode.
Gahan en fait des tonnes, dans un décor rétro-futuriste : une grosse boule
affichant des mots-slogans ("sexe", "vice", "douleur") et des boudins du
même métal pour masquer les claviers - reconstitution d'une boîte branchée
ou épisode de Star Trek, c'est selon. A côté, on trouve l'auteur-compositeur
Martin Gore, flanqué d'une guitare en forme d'astéroïde dont il joue
sporadiquement - les trois autres s'occupent de tout.
Gore, qui retrouve les foules après une frustrante expérience solo, s'est
affligé d'un accoutrement glam (le rock à paillettes du début des années
1970) : deux ailes et un bonnet andin recouvert d'une crête. Il est donc
l'ange annoncé par le titre du nouvel album du groupe, Playing the Angel.
Derrière le guignol, les chansons demeurent. Celles de Gore supportent
l'épreuve du temps par leur capacité à brasser mélodies pop, mélancolie et
violence industrielle. Behind the Wheel, Personal Jesus, Enjoy the Silence,
désormais standards des années 1980-1990, sont spectaculairement enchaînées.
Avant que Gore, seulement accompagné au piano, n'accapare le micro pour
Shake the Disease dans un geste césarien.
Depeche Mode. Le 21 février. Palais omnisports de Paris-Bercy, 8, boulevard
de Bercy, Paris-12e. Métro Bercy. Tél. : 01-40-02-60-60. Jusqu'au 23
février. De 41 € à 52 €. Le 24 à Amneville (Galaxy, complet), le 25 à Douai
(Gayant Expo, complet).
Bruno Lesprit